Burkina Faso : Quand la variabilité climatique donne des ailes aux moustiques et augmente les cas de paludisme

Vecteurs du paludisme, les moustiques se trouvent au Burkina Faso, conforter par la variabilité climatique et les problèmes d’assainissement. Cette situation entrave la lutte contre le paludisme, première cause de consultation et de mortalité dans ce pays sahélien.

La géomorphologie de cette région la prédestine à la prolifération des gites larvaires

Vallée du Sourou au Nord-Ouest du Burkina Faso. Dans cette vaste plaine inondable où vivent plus d’un demi-million d’habitants, les moustiques sont, de jour comme de nuit, en quête de proie.

« La situation est particulièrement difficile la nuit, puisque les moustiques sont encore plus actifs. Ils peuvent vous piquer à travers les vêtements. La nuit, nous mettons souvent les pieds dans des sacs pour nous protéger », confie Sawadogo Mahamado, 67 ans, résident au cœur de cette région constamment humide.

La géomorphologie de cette région la prédestine à la prolifération des gites larvaires

La Valée du Sourou n’est pas la seule localité au Burkina Faso où les habitants se plaignent de la prolifération de ces insectes. Le paludisme dont ils sont à l’origine représente le principal motif de consultation (45,7%), d’hospitalisation (45,6%) et de décès (25,2%) dans les formations sanitaires du pays selon les données désagrégées du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP).

En 2021, plus de 12,21 millions de cas de paludisme ont été recensés avec malheureusement 4355 décès. C’est un million de plus, comparé à 2020 où plus de 11 millions de cas ont été enregistrés, entraînant près de 4 000 décès.

Le paludisme sévit toute l’année dans la Valée du Kou avec une recrudescence des cas pendant la saison pluvieuse, due aux rizières qui entourent carrément le centre médical qui se trouve même dans un bas fond”, revèle Dr Alima Ouattara, médecin généraliste au Centre médical de Bama.

Une période sans répit pour les agents de santé de cette localité.

« La charge de travail est nettement plus élevée à tous les niveaux. Nous avons beaucoup de cas, surtout chez les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes », fait remarquer Dr Dramane Sourabié Dramane, médecin-chef du Centre médical de Bama, dans la Valée du Kou.

Ces insectes profitent de la température de l’air

Beaucoup d’études ont tenté de faire le lien entre le paludisme et le changement climatique. L’une d’entre elles publiée le 15 février 2023 dans la revue Biology Letters, une revue scientifique britannique, révèle que profitant du changement climatique, les moustiques se sont déplacés vers des latitudes plus élevées au cours du siècle dernier. Comme quoi, il y a lieu de suivre de près l’évolution des facteurs climatiques, en lien avec le cycle de reproduction de ces insectes.

« Ces moustiques ont un mode de développement dépendant de la température. En ce qui concerne les anophèles au Burkina Faso, la plage de température qui est favorable à leur développement, est de 25 à 30 degré », révèle le Dr Moussa Guelbéogo, entomologiste médical.

Et cette gamme de température est relativement perceptible dans les trois zones climatiques qui divisent le pays du nord au sud. « Chacune de ces zones connaît une saison des pluies et une saison sèche prononcées », renseigne le Climate Change Knowledge Portal (CCKP).

Ce portail de données climatiques de la Banque mondiale, sur la période 1991 à 2020, nous renseigne sur les températures moyennes au Burkina Faso qui sont de 27.07 (1er trimestre), 32.81 (2e trimestre), 28.57 (3e trimestre) et 28.85 (4e trimestre).

De même, selon le Plan National d’Adaptation au Changement climatique du Burkina Faso, les projections sur la période 2021-2065 indiquent un risque de hausse des températures maximales et minimales de 2,5°C à 5°C. L’incidence de ces hausses de températures est claire.

« Le changement climatique, notamment la hausse des températures, va jouer sur la vie du moustique qui va se développer rapidement. Quand les conditions sont favorables, le parasite aussi va raccourcir son cycle de vie », averti Dr Moussa Guelbéogo, entomologiste médical.

Des pics en saison pluvieuse 

Le paludisme sévit toute l’année dans la zone de la Valée du Kou au Sud Ouest du Burkina avec une recrudescence des cas pendant la saison pluvieuse, à en croire Dr Alima Ouattara. Selon elle, cela s’explique par les rizières qui entourent le Centre, qui est situé lui-même dans un bas-fond.

Pendant cette période, le travail devient double dans les centres de santé et les hôpitaux. « La charge de travail est nettement plus élevée à tous les niveaux. Nous avons beaucoup de cas, surtout chez les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes », fait remarquer Dr Dramane.

A Ouagadougou, la capitale, peuplée de près de 3 millions d’habitants, le nombre de cas (paludéens) est passé de 992 500 à 2 000 627 de cas de 2013 à 2022.

L’analyse des données climatiques fournies par l’ANAM, l’Agence Nationale de la Météorologie du Burkina permet de comprendre que les mois indexés par les acteurs de la santé sont ceux pluvieux.

Sur la période 1991 à 2022, août reste le mois le plus arrosé avec une moyenne de 236,27 mm de pluie, suivi de juillet (203,35 mm), de septembre (‘151,50 mm), et de juin (87,82 mm).

Cependant, selon les chercheurs, même les pluies intermittentes avec des eaux de ruissellement mal drainées sont à craindre.

« Les petites flaques d’eau sont plus productives de moustiques que les grands barrages. Les moustiques préfèrent les lieux calmes où il n’y a pas beaucoup de mouvements d’eau pour pouvoir se reproduire », explique Dr Moussa Guelbéogo, entomologiste médical.

Au regard de ces facteurs, on note une répartition des cas de paludisme dans les cinq districts sanitaires de la ville de Ouagadougou, entre 2012 et 2022. Le District sanitaire de Boulmiougou vient en tête avec 37,1 % des cas sur la période. Il est suivi du district de Bogodogo (32,07%), du district de Sig-Noghin (14,37%), du district de Nongre- Massom (11,44%) et du district de Baskuy (5,02 %).

Nombre de cas de paludisme par district sanitaire entre 2013 et 2022

Même si cette répartition est en phase avec le poids démographique des districts sanitaires, le lien avec les difficultés de drainage des eaux pluviales mérite une attention dans certains districts.

Des menaces sur les stratégies de lutte contre le paludisme

Le Burkina Faso est un pays où plus de 60% des cas de paludisme sont concentrés entre juillet et novembre, en fonction des zones, et selon les explications du Professeur Halidou Tinto, chercheur de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) à Nanoro. “Pendant plusieurs années, cela était constant sur cette période” révèle le Professeur, par ailleurs l’investigateur principal du projet d’essais cliniques sur le candidat vaccin R21/Matrix-M pour la prévention du paludisme.

Professeur Halidou Tinto, chercheur de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) à Nanoro

La crise climatique menace de perturber les stratégies de prévention du paludisme au Burkina Faso, du fait des retards, ou de la fin tardive des saisons. Selon les projections climatiques, on devrait assister sur la période 2021-2065 à « un risque d’extension de la saison des pluies par le début et par la fin, avec moins de pluie en juillet-août et plus de pluie en septembre et octobre ».

Ces prévisions exposent également un risque de renforcement de la variabilité climatique d’une année à l’autre, des risques de pluies diluviennes plus fréquentes et les durées de poches de sécheresse ayant une plus forte variabilité en début et fin de saison.

Ainsi, certaines interventions telles que la chimio-prévention du paludisme saisonnier (CPS) pourraient être menacées par les caprices du climat.

La CPS consiste en l’administration intermittente de traitements complets d’anti-paludiques aux enfants pendant la période de haute transmission. Elle couvre les mois de juillet, août, septembre et octobre et pourrait s’étendre à 5 mois dans certaines zones telles les Cassades, certaines localités des  haut bassins, sud-ouest…, en fonction de la durée de la saison pluvieuse selon le Plan stratégique National de Lutte contre le Paludisme 2021-2025.

Mais pour le cas de Ouagadougou, la campagne ne dure que 4 mois. « Si les pluies vont jusqu’en novembre, les gîtes d’eau seront toujours en place. Les interventions ne seront pas efficaces en raison de la modification de la saisonnalité. On résout le problème à moitié, » affirme soucieux, le chercheur de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS). Or, selon l’OMS, cette intervention (la CPS) prévient environ 75% de tous les cas de paludisme et environ 75% des formes graves.

D’un autre côté, l’effet des hausses des températures sur l’utilisation des moustiquaires imprégnées est aussi à craindre.

Au Burkina Faso, un peu plus de huit ménages sur dix (83 %) possèdent au moins une moustiquaire imprégnée d’insecticide (MII) selon une enquête sur les indicateurs du paludisme 2017-2018 (EIPBF). Mais moins d’un Burkinabè sur deux disposant d’une moustiquaire passe la nuit sous ce moyen de protection contre le paludisme.

Ainsi, alors que la planète se réchauffe, les nuits sont de moins en moins fraiches. Selon le Plan national d’adaptation au changement climatique, le pays fait face à « une tendance à la hausse des jours chauds et des nuits chaudes à l’exception des régions du Sud-ouest où on relève une tendance à la baisse des nuits chaudes ».

Une étude publiée en 2018, sur l’évolution des températures au Burkina Faso, confirme cette tendance. « Entre les deux périodes de 30 ans que nous avons considérées, la fréquence des nuits de fraîcheur a diminué (-14,0 % à Ouagadougou et -34,1 % à Ouahigouya). Celle des journées de fraîcheur a diminué à Ouagadougou (-9,4 %), mais augmenté légèrement à Ouahigouya (+1,05 %) », conclue les travaux.

« Il faut que les stratégies de lutte s’adapte au changement climatique », recommande fortement le Professeur Halidou Tinto. Sinon, une mauvaise préparation face à cette crise aux effets imprévisibles sera encore plus destructrice. Pour ainsi dire, à n’y prendre garde, l’on pourrait se retrouver embourbé dans un scénario ; celui de la solution qui soit aussi létale que le mal qu’elle prétend guérir.

Madina Belemviré

Cet article a été produit avec le soutien de Media Foundation for West Africa, la Fondation des Médias pour l’Afrique de L’Ouest, dans le cadre de son programme de bourse sur le changement climatique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

quatre + dix =