Avortement clandestin au Burkina, zoom sur une pratique qui résiste à la loi
L’avortement, c’est l’interruption ou l’expulsion du fœtus avant sa période de viabilité. Selon l’OMS, c’est avant 22 semaines d’aménorrhées, et dans notre contexte compte tenu de notre plateau technique, c’est avant les 28 semaines d’aménorrhées. Au Burkina Faso, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est encadrée par la loi n° 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal et celle n° 049-2005/AN du 21 décembre 2005 portant santé de la reproduction. Malgré cette loi répressive, le phénomène reste réel dans notre pays.
- Docteur Evelyne Komboïgo/Savadogo
Au Burkina Faso, 24 à 28% des décès hospitaliers sont liés à l’avortement. Dans une étude faite entre avril 2018 et mai 2019 par une équipe du Professeur Blandine Bonané Thiéba, 217 cas de grossesses non désirées ont été relevés. Parmi ces grossesses non désirées, 74% ont abouti à un avortement provoqué clandestin et la tranche d’âge retrouvée était de 22 ans. Pourtant, le code pénal punit en son article 513-10, d’une peine d’emprisonnement d’au moins 1 à 5 ans et d’une amende d’un million à trois millions de F CFA, toute personne qui s’est rendue coupable d’avortement. Néanmoins, la loi sur la santé de la reproduction dans son article 21 autorise l’IVG dans quatre situations.
Ce que dit la loi
Lorsque l’évolution de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte (cette phrase est incomplete), la femme peut bénéficier de l’avortement médicalisé. Dans ce cas précis, explique Dr Evelyne Komboïgo, gynécologue obstétricienne au CHU Sourou Sanou de Bobo Dioulasso, la femme peut bénéficier de l’avortement médicalisé à tout âge gestationnel, à n’importe quel âge de la grossesse car « mieux vaut garder la calebasse vide que de vouloir coûte que coûte la garder remplie d’eau tout en sachant que si elle se casse, on va perdre aussi bien l’eau que la calebasse ».
L’avortement est également autorisé à la demande de la femme, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse. Dans ce cas, si l’inceste et le viol sont bien établis par les autorités compétentes juridiques, la femme peut demander à un médecin dans les 14 semaines, l’interruption de sa grossesse.
Donc, dès lors que la femme a été agressée où s’il y a eu un acte incestueux, il faut vite commencer les poursuites judiciaires pour pouvoir avoir les documents parce que sans cela, il est difficile pour le médecin, sur simple déclaration de la femme, de pouvoir faire l’avortement médicalisé.
En plus, il y a des circonstances aussi où l’enfant à naître porte une pathologie incompatible avec la vie, porte une malformation congénitale qui est incompatible avec la vie extra utérine. Dans ces situations, renseigne Dr Komboïgo, si la pathologie est détectée au cours de la grossesse, à n’importe quel âge gestationnel, le médecin a l’obligation de donner à la patiente toutes les informations relatives à cette pathologie et c’est à la famille de décider d’interrompre la grossesse ou pas. « Si la famille décide d’interrompre, le médecin peut offrir cet avortement médicalisé », a noté la spécialiste. La loi dit aussi que si la grossesse met la femme en détresse et si la matérialité de la grossesse peut être établie, le médecin peut accompagner la femme en lui prodiguant l’avortement médicalisé.
Conséquences de l’avortement clandestin
Pratiquer l’avortement clandestin, revient à mettre sa vie en danger parce qu’il n’est pas pratiqué dans les conditions sécuritaires. Selon Dr Evelyne Komboïgo, les infections pouvant entrainer un état de choc septicémique et même causer la mort de la femme sont les complications immédiates.
Quant aux complications à court terme et à long terme, elles sont de plusieurs ordres : une synéchie utérine pouvant compromettre le potentiel de procréation ultérieur de cette patiente. « On peut avoir des obstructions tubaires et la répercussion psychologique. Il y a des femmes qui vont faire des dépressions, des complications psychologiques à long terme » a-t-elle déploré notant au passage que la femme va garder ça toute sa vie.
A cet effet, Dr Komboïgo, pense que le prestataire qui a suivi la femme doit intégrer la prise en charge psychologique. « L’idéal c’est d’avoir des psychologues à côté de nous qui vont travailler avec nous pour accompagner ces femmes », a-t-elle souhaité.
Impact psychologique de l’avortement
Selon le Pr Sébastien Yougbaré, maître de conférences en psychologie clinique, l’avortement, qu’il soit médicalisé ou clandestin a un impact psychologique car il joue sur l’image corporelle et l’image de soi qui est la représentation que la femme a d’elle-même. « Il y a l’aspect culpabilité qui s’impose, parce que du point de vue de la règle et du bon sens, il y a une infraction par rapport à la norme et ça questionne sur le choix sexuel (pourquoi prendre la grossesse, que ce soit désiré ou non désiré). C’est une atteinte narcissique et du point de vue intersubjectif, il y a un conflit entre deux sujets : le sujet qui est le regard de l’autre et moi-même mon propre regard », a-t-il fait comprendre.
Au regard de ces éléments, Pr Yougbaré a souligné la nécessité d’inclure la prise en charge psychologique dans la prise en charge médicale, car l’impact psychologique peut être traumatique et amener la femme à faire une fixation sur tout ce qui est arrivé. « Certaines femmes peuvent rester figées à cet acte d’avortement. Quand c’est ainsi, le cerveau doit faire un travail de deuil de ce qui est perdu parce qu’elle a fait sortir quelque chose par force donc ça pose la question d’un conflit entre le comportement d’adolescent et le comportement d’adulte », a-t-il expliqué.
Prévenir l’avortement clandestin
Prévenir l’avortement provoqué clandestin revient en grande partie à lutter contre la survenue des grossesses non désirées. Pour cela, il faut promouvoir l’éducation sexuelle en famille et en milieu scolaire, sensibiliser la jeune fille avant, pendant et après la puberté, vulgariser le droit à la santé reproductive des jeunes, promouvoir l’accès et l’utilisation des méthodes contraceptives, renforcer les connaissances et les compétences des agents de santé à prendre en charge les conséquences de l’avortement provoqué clandestin…
Témoignage d’une source médicale
« J’ai déjà vu un cas de grossesse extra utérine (localisation anormale de la grossesse en dehors de la cavité utérine). Quand la grossesse reste dans la trompe, très souvent c’est une urgence obstétricale, car il faut éviter la rupture de cette grossesse qui peut mettre en danger la vie de la femme. Il faut aller opérer quand cette grossesse est rompue, même si elle ne l’est pas. Mais comme c’est une grossesse non désirée, la femme a tenté d’avorter clandestinement. Une tige a perforé son utérus, elle s’en est sortie, mais ce n’est pas sûr que son utérus puisse être fonctionnel dans le futur pour qu’elle puisse procréer ».
Madina Belemviré