Cancer pédiatrique au Burkina Faso : L’effrayante réalité d’une bataille quotidienne pour la survie
Au Burkina Faso, la lutte contre les cancers pédiatriques n’est pas seulement un défi médical, c’est une bataille quotidienne pour la survie. La lutte quotidienne de nombreuses familles se transforme en un défi insurmontable, où le dépistage tardif devient un élément central de la tragédie. Des défis médicaux aux obstacles financiers, un appel à l’action s’impose pour offrir une lueur d’espoir à ces jeunes vies.
Les cancers pédiatriques sont souvent perçus comme une réalité lointaine, mais pour de nombreuses familles au Burkina Faso, c’est une lutte quotidienne. Madame Awa Zoungrana et sa famille ont découvert que leur fille souffrait de cancer il y a deux mois de cela, un parcours qui a commencé par des yeux rougissants. Lorsque la famille a consulté au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS), ils étaient loin de se douter de la gravité de la situation. « Nous pensions que c’était juste des maux d’œil, on ne savait pas que c’était quelque chose de grave« , explique madame Zoungrana. Le diagnostic de cancer de l’œil a été un choc, mais la famille a été confrontée à une réalité encore plus dévastatrice, l’opération nécessaire pour traiter la petite de 4 ans.
L’histoire de madame Zoungrana reflète une triste vérité au Burkina Faso, où les cancers pédiatriques sont un fardeau écrasant. Les cancers les plus fréquents chez les enfants burkinabè ont des manifestations spécifiques, mettant en lumière la réalité difficile de ces maladies. Le lymphome de Burkitt, un cancer des ganglions et du sang, constitue une part significative de 30% des cas. Ciblant les enfants d’âge scolaire, ce cancer se manifeste souvent entre 6 et 9 ans, avec des symptômes impactant sur le visage, les mâchoires, les joues, et même parfois le ventre.
Le lymphome de Burkitt, un cancer des ganglions et du sang, constitue une part significative de 30% des cas
Le rétinoblastome, un cancer de l’œil, représente 15% des cas et affecte principalement les nourrissons et les jeunes enfants
Le rétinoblastome, un cancer de l’œil, représente 15% des cas et affecte principalement les nourrissons et les jeunes enfants. Contrairement à d’autres cancers, il ne se manifeste pas toujours par un gonflement, mais les parents doivent être attentifs à une tâche blanche dans l’œil, émettant une lueur particulière à la lumière nocturne, similaire à un œil de chat.
Le cancer du rein touche environ 15% des enfants
Le néphroblastome, également connu sous le nom de cancer du rein, touche environ 15% des enfants observés, souvent vers l’âge de 5 ans.
Les leucémies, cancers du sang, touchent les enfants entre 5 et 7 ans. Les signes incluent des allergies fréquentes, des gonflements des ganglions, une fatigue persistante et des problèmes de vision. Ces symptômes, bien que non spécifiques au cancer, sont souvent mal interprétés, retardant le diagnostic.
Un système de soins fragile pour les enfants atteints de cancers au Burkina Faso
Selon le Dr Chantal Bouda, chef de l’unité d’oncologie pédiatrique au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU YO), le pays compte sur trois sites de prise en charge. Il s’agit de l’unité d’oncologie pédiatrique de Yalgado, l’unité d’oncologie pédiatrique du Centre hospitalier pédiatrique Charles de Gaule (CHUP-CDG), l’unité d’oncologie pédiatrique du Centre hospitalier universitaire Sourou Sanou de Bobo Dioulasso.
Entre 2018 et 2022, ces sites ont enregistré 1235 nouveaux patients, mais près d’un tiers ont malheureusement succombé, et un cinquième a abandonné les soins. (Dr Bouda)
Le témoignage de Madame Zénabou Zongo, originaire de Koudougou, une ville située à une centaine de kilomètres de Ouagadougou, illustre bien cette situation. « Tous mes enfants ont grandi et quitté la maison, et j’ai décidé de prendre ma nièce de 10 ans pour qu’elle reste avec moi. Malheureusement, elle est tombée malade du cancer de sang, et cela fait maintenant 3 mois que nous avons découvert sa maladie. Lorsque nous venons à Ouagadougou pour les soins, on nous donnait un autre rendez-vous, et nous repartons à Koudougou en attendant le prochain rendez-vous. « , a-t-elle confié. Mais pour madame Zongo, le poids financier est lourd. « Je disais aux médecins que cette fois-ci, si je quitte, et si je ne reçois pas de soutien, il n’est pas sûr que je pourrai revenir même si je ressens le poids écrasant de la responsabilité envers ma nièce malade, mais je n’ai pas le choix« , a-t-elle déclaré.
A l’entendre, la maladie de sa nièce a ajouté une charge émotionnelle et financière importante à sa vie. « Les trajets fréquents entre Koudougou et Ouagadougou pour les soins médicaux sont épuisants, tant sur le plan physique que financier. Mon mari, qui aurait pu être un soutien, n’est plus là, ce qui rend la situation encore plus difficile à supporter. Le coût des soins et des déplacements est devenu un fardeau insupportable« , a-t-elle expliqué les larmes aux yeux .
Le Pr Sonia Kaboret Rouamba, chef de l’unité d’oncologie pédiatrique au CHUP-CDG, souligne les obstacles persistants dans la prise en charge efficace de ces cancers. Les plateaux techniques ne sont pas toujours suffisants pour permettre un diagnostic précis, et certains examens essentiels sont peu disponibles. Le personnel qualifié fait défaut malgré la collaboration de quatre oncopédiatres pour tout le pays avec d’autres spécialistes.
Le fardeau financier, un dilemme déchirant pour les familles
La bataille contre ces cancers n’est pas seulement médicale, mais aussi financière. Les coûts exorbitants des traitements, combinés à l’absence d’un système d’assurance maladie, plongent de nombreuses familles dans des dilemmes déchirants. La solidarité familiale, bien que présente, peine à soulager le fardeau financier exacerbé par la crise mondiale actuelle.
Outre les difficultés économiques, le cancer chez les enfants entraîne des conflits familiaux. Selon Alira Bidima, surveillante d’unité de soins à l’unité d’oncologie du CHU-CDP, de nombreux parents perdent leur emploi et des foyers sont brisés en raison de cette maladie touchant les enfants. Madame Bidima relate une expérience vécue au sein de son unité, où une petite fille est arrivée accompagnée de sa belle-mère, soit la femme de son père. Cette dernière s’occupait bien de sa belle-fille comme de son propre enfant pendant les quatre mois d’hospitalisation, alors que le père était en déplacement.
« Il est passé un jour de retour de son voyage pour voir sa fille puis est reparti. La femme a décidé de passer le voir à la maison comme ça faisait longtemps, laissant la petite avec son beau-frère qui était venu leur rendre visite. Arrivée à la maison, elle a malheureusement découvert que son mari avait expulsé ses affaires, estimant qu’elle passait trop de temps à l’hôpital sans prendre soin de lui en tant que mari. Elle est partie et n’est plus revenue à l’hôpital. La petite est restée seule pendant deux jours, prise en charge par le personnel infirmier. Le troisième jour, un parent est venu et, constatant que tout allait bien, l’enfant a été libérée. Malheureusement, deux semaines plus tard, elle est retournée à l’hôpital avec une infection sévère et elle a finalement succombé », a-t-elle regretté. Cette tragique histoire souligne les répercussions émotionnelles et sociales du cancer pédiatrique sur les familles déjà éprouvées.
Le diagnostic tardif, un élément central de la tragédie
La survie des enfants atteints de cancer dépend du type de cancer, du stade de la maladie et des possibilités de traitement. Malheureusement, au Burkina Faso, regrette Dr Bouda, la plupart des patients arrivent à des stades avancés, limitant les possibilités de traitement curatif. Le taux de survie pour le lymphome de Burkitt, par exemple, est de 50 à 60%, bien en deçà des normes observées en Europe où les patients ont survécu à 90-95%.
En 2021, sur les 33 patients atteints de cancer de l’œil, 22 étaient déjà à un stade dépassant les possibilités de traitements curatifs. « Nous ne pouvions espérer guérir que 11, parmi lesquels, il y a eu 3 refus de traitement, 6 survivants et 2 décès », a regretté Dr Chantal Bouda. Le traitement, comprenant la chirurgie, n’est souvent pas accepté, soulignant les barrières culturelles et psychologiques auxquelles sont auxquelles sont confrontées ces familles vulnérables. Plus le diagnostic est fait tôt plus les chances de guérison sont grandes soulignant la nécessité du diagnostic précoce.
La nécessité d’un diagnostic précoce devient cruciale. Plus tôt le cancer est détecté, plus les chances de guérison sont grandes. Cependant, le manque d’infrastructures médicales et de sensibilisation rend difficile cette détection précoce. Le Burkina Faso est confronté à un appel à l’action urgent. La communauté internationale, les organismes de santé et les organisations humanitaires doivent unir leurs forces pour renforcer les infrastructures médicales, fournir des subventions spécifiques aux enfants atteints de cancer, sensibiliser la population sur l’importance du diagnostic précoce et aborder les défis financiers auxquels sont confrontées ces familles. La lutte contre les cancers pédiatriques ne doit pas seulement être médicale, mais aussi une lutte collective pour briser les barrières qui entravent l’espoir d’une vie saine pour ces jeunes vies.
La plateforme mondiale pour l’accès aux médicaments: un rayon d’espoir
Chaque année, 350 000 enfants des pays à revenu faible ou intermédiaire reçoivent un diagnostic de cancer, mais l’accès aux traitements nécessaires reste un défi majeur. Seulement 25 % des pays à faible revenu prennent en charge les médicaments anticancéreux pour les enfants via leurs programmes d’assurance-maladie, exposant ainsi de nombreuses familles à des difficultés financières et à des risques liés à l’utilisation de médicaments de qualité inférieure. En décembre 2021, l’OMS et St. Jude ont lancé la Plateforme mondiale pour l’accès aux médicaments contre le cancer de l’enfant. https://www.who.int/fr/news/item/13-12-2021-who-and-st.-jude-to-dramatically-increase-global-access-to-childhood-cancer-medicines
Avec un engagement financier de 200 millions de dollars sur six ans, cette initiative vise à fournir gratuitement des médicaments de qualité à 120 000 enfants d’ici 2027. Un pas significatif vers un accès universel et durable aux traitements, cette plateforme incarne l’espoir d’un avenir où chaque enfant a la possibilité de lutter et de vaincre le cancer.
Madina Belemviré