Gestion des menstrues : le sang et la souffrance invisible dans les casernes militaires
Dans l’enceinte rigoureuse et exigeante des écoles de formation militaire, où la force, la résilience et l’effort sont célébrés, les femmes en uniforme font face à une réalité biologique : les menstruations. La gestion de l’hygiène menstruelle pendant la formation militaire apparaît comme un défi méconnu, qui mérite qu’on en parle. Bulletin Santé a donc plongé dans cet univers pour entendre les témoignages poignants de ces jeunes femmes.
La gestion des menstruations est un véritable défi pour les élèves militaires. Les exercices sur le terrain, parfois rudes, laissent peu de place à l’intimité. Fatoumata Dao, élève sous-officier d’active (ESOA) de deuxième année à l’Ecole nationale des sous-officiers d’active de Kamboinse (ENSOA), partage son expérience, révélant que l’intensité des activités a perturbé son cycle menstruel au point qu’elle peut passer des mois sans voir ses règles. Egalement, Rachida Ouangrawa, (nom d’emprunt) élève sous-officier de deuxième année à l’ENSOA renchérit en soutenant que les douleurs au bas-ventre causées par les contractions de l’utérus entravent certaines activités. Ces douleurs, appelées dysménorrhées, peuvent être handicapantes, confirme le Dr Lassina Traoré, gynécologue obstétricien.
Les dysménorrhées se manifestent par une douleur à type de crampe qui est d’intensité variable et qui peut être gênantes. Cette douleur peut être accompagnée de fatigue, de vomissements, de diarrhée, de nausées, de céphalées, de nervosité, de vertiges et étourdissements et peut siéger au niveau du bas-ventre, le dos et descendre au niveau des cuisses et la hanche. Malgré ces défis, ces jeunes femmes, âgées d’une vingtaine d’année, font preuve d’une résilience remarquable. « Au début, ce n’est pas facile, mais au fur et à mesure avec les activités, on arrive à se maîtriser, à créer nos propres initiatives pour pouvoir s’adapter », soutient l’ESOA Rachida Ouangrawa.
Une hygiène menstruelle adéquate contribue à prévenir les odeurs désagréables, les infections favorisant ainsi la confiance en soi et le bien-être mental des femmes.
Selon le capitaine Swalo Rachid Ouattara, médecin-chef du Centre médical militaire du camp Général Bila Zagré, des cas d’infections liée à un défaut d’hygiène intime sont fréquemment notifiés pendant la formation, en raison de sa rigueur. »J’ai déjà eu des infections à plusieurs reprises, parce que nous n’avons que 5 ou 10mn de pause et nous profitons souvent de ce laps de temps quand nous avons nos menstrues pour nous changer et revenir dans les rangs », a confié ESOA Dao. Il arrive parfois, ajoute le capitaine Ouattara, qu’un dépistage de l’ensemble du personnel féminin soit nécessaire en cas d’incidence élevée des infections génitales. Par ailleurs, des cas d’infections récidivantes chez certaines femmes pendant la formation sont souvent attribuables à des lacunes dans l’application des conseils d’hygiène intime et des traitements.
Dans ces situations, le médecin-chef estime que la tenue est souvent pointée du doigt, car des sous-vêtements propres avec des vêtements toujours sales n’offrent aucune protection, favorisant la prolifération de microorganismes. Ces infections peuvent également toucher d’autres régions en plus de la sphère génitale. Parfois, la gêne empêche les femmes de consulter, les poussant à des pratiques de lavage nuisibles avec des produits corrosifs, ce qui nécessite alors plusieurs semaines de soins avec des risques pour la fertilité.
Outre les douleurs physiques, et les infections, l’hygiène menstruelle a un impact significatif sur le bien-être mental et la confiance en soi des femmes militaires en formation, en témoigne les confessions de L’ESOA Dao : « Quand tu as tes menstrues et que tu es dans les rangs, tu es gênée car tu te demandes si tu ne t’es pas salie et cela te fait perdre ta confiance en toi ».
En ce qui concerne la préservation de l’hygiène des femmes, la politique et les installations des forces armées nationales prennent en compte les besoins des femmes militaires à entendre le capitaine Ouattara. La preuve, confie-t-il, la mise à disposition permanente de serviettes hygiéniques est une condition sine qua non dans l’hygiène intime des femmes militaires en formation. Aussi, la séparation des locaux par sexe atténue la gêne occasionnée, préserve l’intimité des femmes et facilite l’exécution des soins spécifiques dont elles ont besoin. Des séances de sensibilisation se font également par le biais des anciennes militaires déjà en activité, qui prodiguent des conseils à leurs cadettes sur la propreté et les encourage à consulter. Les cours d’hygiène et d’infections sexuellement transmissibles s’inscrivent également dans le cadre de la sensibilisation selon le capitaine.
Toutefois, même si les élèves militaires ne semblent pas rencontrer de problème pour la dotation des serviettes hygiéniques, elles plaident néanmoins en faveur de mesures supplémentaires.
Elles demandent plus de temps lors de leurs menstruations pour pouvoir se nettoyer convenablement, et suggèrent même la dotation en lingettes comme solution alternative. L’amélioration de l’accessibilité à l’eau est également souhaitée, compte tenu des coupures fréquentes qui entravent la facilité de gestion des menstruations.
Des doléances soutenues par le médecin-chef qui reconnaît que de nombreux aspects nécessitent des améliorations.
« Avec l’augmentation des effectifs, il est impératif d’accroître le nombre de toilettes, car des installations surutilisées entraînent des problèmes d’hygiène malgré un entretien quotidien. Il serait également bénéfique d’augmenter le nombre de cadres de contact féminins et d’encourager les consultations au moindre doute. L’intensification de la sensibilisation est également souhaitable pour réduire significativement les cas d’infections génitales liés à un défaut d’hygiène intime ».
En dépit des défis rencontrés, ces femmes militaires en formation font preuve d’une détermination sans faille, incarnant la force et la résilience qui caractérisent les forces armées nationales.
Madina Belemviré