Jeanne Gapiya-Niyonzima : Le combat d’une mère pour la santé, les droits et la dignité face au VIH

Mon chagrin en tant que mère et ma colère face aux violations des droits des personnes vivant avec le VIH ont donné naissance à mon implication dans la riposte au VIH. Je dis aux gens : s’il vous plaît, ne vous sentez pas brisés lorsque vous apprenez mon histoire, s’il vous plaît, soyez plutôt poussés à agir pour que personne d’autre ne subisse les privations de droits que moi et beaucoup d’autres avons subies. Je partage mon histoire pour expliquer pourquoi, en tant que personne vivant avec le VIH, je travaille pour les droits humains, et pourquoi ce travail doit se poursuivre jusqu’à ce que nous ayons protégé les droits de l’homme de toutes les communautés touchées par le VIH.

Mme Jeanne Gapiya-Niyonzima Fondatrice de l’ANSS et Première personne au Burundi à annoncer publiquement qu’elle vivait avec le VIH

Tout au long de mon parcours, -et en partageant ce parcours avec mes frères et sœurs vivant avec le VIH-, j’ai été témoin de cruauté et de brutalité envers les personnes vivant avec le VIH.

Tout a commencé pour moi le jour où mon bébé a été testé positif au VIH et qu’un médecin a brusquement annoncé que moi, mon bébé et mon mari allions tous mourir. Plus tard, le médecin m’a dit de sortir mon bébé de l’hôpital pour qu’il meure à la maison afin que son lit d’hôpital puisse être libéré pour quelqu’un qui pourrait être sauvé.

Quand j’ai dit à mon médecin que j’étais enceinte d’un deuxième enfant, il a insisté pour que j’interrompe ma grossesse. Pendant l’intervention, le médecin, sans mon consentement, m’a enlevé l’utérus pour s’assurer que je ne pourrais plus jamais avoir d’autre enfant. J’étais sous le choc. Je ne me sentais plus comme une femme. Il m’a fallu 10 ans pour enfin accepter ce qu’on m’avait fait. Ironie cruelle, je me suis remarié à l’âge de 36 ans et je suis restée asymptomatique. J’aurais pu avoir d’autres enfants, mais un médecin m’a privée de mon autonomie et a pris cette décision purement personnelle à ma place.

Il est maintenant reconnu que les femmes vivant avec le VIH peuvent, avec du soutien, avoir des bébés sans VIH. Il est reconnu que la stérilisation forcée des femmes vivant avec le VIH est une violation de leurs droits fondamentaux. Il est également reconnu aujourd’hui que ces violations des droits des femmes vivant avec le VIH les éloignent des centres de santé et affaiblissent les programmes visant à mettre fin au sida. Cette reconnaissance n’est pas venue automatiquement : tout cela existe aujourd’hui parce que nous, les mères, nous nous sommes battues.

Sachez-le : La bataille d’une mère est incomparable. Je suis une catholique pratiquante. En 1994, j’ai assisté à une messe dans le cadre de la Journée mondiale du sida, je cherchais du réconfort après tout ce que j’avais perdu et le chagrin que je vivais durant toutes ces années. Au cours des dernières années, le sida m’avait privée de mon mari, de mon enfant de 18 mois, de ma sœur et de mon frère. En assistant à la messe, j’espérais commémorer la perte prématurée de tant de personnes dans ma vie. Au lieu de cela, tout ce que j’ai entendu le prêtre dire ce jour-là, s’apparentait à du sectarisme et de la condamnation. Le prêtre a déclaré que toutes les personnes étaient mortes de causes liées au sida étaient des pécheurs. Je savais que moi, mon mari et mes frères et sœurs, même si nous n’étions pas des anges, nous étions de bonnes personnes. Mais pour mon petit garçon décédé c’était une autre affaire. Je le savais, qu’il était bel et bien un ange.

J’ai eu le sentiment qu’on m’avait insulté et manqué de respect en tant que mère et cela a déclenché une révolte en moi. Je me suis mise debout devant tout le monde dans l’église et j’ai déclaré que je vivais avec le VIH. J’ai dit que personne ne pouvait insulter mon bébé qui était un ange. J’ai ajouté que personne ne devait insulter les personnes vivant avec le VIH ou les personnes décédées de causes liées au sida. Je n’étais, disais-je, pas plus pécheresse que n’importe qui d’autre dans l’assistance. A la fin du service, plusieurs personnes m’ont approché pour me demander de l’aide, pour faire face à la stigmatisation et à la discrimination qu’elles subissaient.

Peu de temps après la célébration fatidique de la Journée mondiale de lutte contre le sida, j’ai cofondé l’Association Nationale de Soutien aux Séropositifs et Malades du Sida (ANSS), qui est devenue ANSS Santé Plus. Depuis plus de 30 ans, l’ANSS s’efforce d’accroître les connaissances et la sensibilisation liées au VIH, de lutter contre la stigmatisation et la discrimination, et d’aider les personnes vivant avec le VIH à réaliser leurs droits.

Nous avons fait des progrès majeurs dans le domaine des droits et l’efficacité de la riposte au VIH. Avant notre campagne, les résultats du test de dépistage du VIH étaient ouvertement partagés. Cela violait le droit à la vie privée des gens et les dissuadait de se faire tester. Mes collègues et moi avons plaidé avec succès en faveur de politiques qui protègent la confidentialité des résultats du test de dépistage du VIH, ce qui donne l’assurance d’encourager davantage de personnes à se faire tester.

Nous avons obtenu pour les malades, l’accès à des médicaments pour traiter les infections opportunistes liées au VIH. Nous avons réussi à faire respecter le droit à l’éducation pour les enfants vivant avec le VIH.

Alors que tant de veuves sont maltraitées par leur belle-famille ou rejetées par leur propre famille, nous avons contesté leurs mauvais traitements, y compris devant les tribunaux, pour obtenir la reconnaissance de leurs droits.

Nous avons été la première association au Burundi à intégrer la communauté des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes dans notre travail. Protéger les droits, c’est protéger les droits de tous. En tant que femme hétérosexuelle devenue une personnalité publique, j’accepte de prendre des risques pour protéger les autres, et j’ai la responsabilité de le faire. En tant que personne dont les droits humains ont été violés à plusieurs reprises, je comprends qu’une violation des droits humains contre quiconque est une attaque contre le droit à la santé de toute l’humanité.

En fin de compte, les difficultés que j’ai vécues et le mouvement dont j’ai fait partie me laissent de l’espoir. Nous connaissons la voie à suivre pour bâtir une société dans laquelle nous nous épanouissons tous. Si le monde veut mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique, il doit protéger les droits de chaque personne.

Témoignage extrait du Rapport Mondial de la Journée Mondiale du Sida. Pour plus d’informations consulter Onusida.org

 

 

 

 

 

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